LA BLOCKCHAIN, UN OUTIL TECHNOLOGIQUE…ET JURIDIQUE

La blockchain a bouleversé le postulat selon lequel un réseau décentralisé serait de facto non sécurisé. Elle a gagné cette dernière année en crédibilité mais elle reste peu déployée dans le monde des affaires, et se concentre autour des sujets de traçabilité. Ceux qui ont franchi le pas dans le monde des contrats ont labouré un terrain peu fertile, ont dû comprendre tant sa fiabilité technologique que sa solidité juridique.

Ainsi, sans jamais confondre la technique et le droit, nous allons nous questionner sur la valeur probante d’un écrit blockchain.

Véritable pierre angulaire ou mirage dans le domaine contractuel ? Entre qualification juridique et fiabilité technologique, on vous dit tout !

Que dit le droit ?

Le droit français admet deux catégories de preuves : les preuves parfaites et les preuves imparfaites.

Une preuve est dite parfaite lorsqu’elle a été établie par un officier public dont la compétence matérielle et territoriale lui permet de dresser un acte selon un certain formalisme. Il garantit sa validité, son absence de contrariété à l’ordre public ainsi qu’aux droits des tiers. L’acte est alors dit  « authentique », au sens de l’ Article 1317 du code-civil.
Les autres preuves, quelles qu’elles soient, sont dites imparfaites et sont donc soumises à l’appréciation in concreto du juge.

Il est inutile d’aller plus loin pour apporter une 1ère réponse : au mieux, une preuve blockchain sera dite imparfaite. Dit autrement (et avec moins de brutalité) elle peut tout de même avoir une valeur probatoire, c’est-à-dire « jusqu’à preuve du contraire ».
Si aucun texte ne mentionne spécifiquement la blockchain en matière probatoire (le droit n’a jamais devancé la technique), il n’en résulte pas pour autant un vide juridique.
En effet, l’Article 1358 du code-civil pose un principe de liberté de la preuve des faits juridiques  et des actes sous signatures privées, dont le montant est inférieur à 1 500 euros.

En outre, et si un écrit est nécessaire pour les contrats dont l’enjeu est supérieur à ce montant, le Code-civil pose le principe de non-discrimination de l’écrit électronique par rapport à un écrit sur support papier. Parce qu’on ne peut nier qu’un écrit blockchain est « électronique », il convient donc de s’interroger sur la force probante de l’écrit électronique.

L’§ 1366 du Code-civil lui donne la même valeur que l’écrit sous forme papier « sous réserve que puisse être dûment identifiée la personne dont il émane et qu’il soit établi et conservé dans des conditions de nature à en garantir l’intégrité ».

Juridiquement indissociable d’un acte, c’est la signature qui lie le document à une personne. Ainsi, l’Article 1367 du code-civil relatif à la signature électronique dispose ainsi qu’il doit s’agir   d’« un procédé fiable d’identification garantissant son lien avec l’acte ».

A ce titre, il faut se référer au Règlement Européen no 910/2014 (dit règlement eIDAS) sur l’identification électronique et les services de confiance pour les transactions électroniques au sein du marché intérieur. Il impose, pour bénéficier d’une présomption de fiabilité en matière de signature et d’horodatage, qu’il soit fait usage d’un tiers de confiance. La signature est alors dite « qualifiée ».
Il est utile d’ajouter qu’en application de l’Article L 110-3 du Code de Commerce, la preuve des obligations est libre entre commerçants.

La blockchain, une nouvelle manière de gérer l’intégrité d’un écrit électronique

Le Réglement CE no 460/2004 en donne cette définition : « L’intégrité des données est la confirmation que les données qui ont été envoyées, reçues ou stockées sont complètes et n’ont pas été modifiées ».

Avant l’avènement de la blockchain, les données étaient nécessairement sécurisées de manière centralisée : les documents sensibles sont stockés sur des serveurs dont les accès sont limités. Il peut s’agir de SAE (Système d’archives électronique) ou coffre-forts électroniques. Quand on sort un document, il n’y a d’autre solution technologique que de le mettre sous format PDF et de le signer électroniquement pour empêcher toute modification. Ce procédé, certes sans failles, impose des procédures complexes, est onéreux, et oblige à un format de type « papier numérisé ».

La blockchain fonctionne de manière fondamentalement différente : elle est décentralisée. En d’autres termes, il faut comprendre qu’il n’y a pas d’autorité centrale, que la sécurité s’obtient en distribuant les données, qui sont répartie sur de nombreux serveurs.

Dans les faits, pour vous assurer de l’intégrité d’un document (qui sait être sous format natif – Excel, photo, film ou tout autre), vous interrogez d’un clic des milliers de serveurs qui vous répondront tous en 1 seconde : oui/non, ce document a bien été/n’a pas été certifié sur la blockchain tel jour à telle heure. Votre ordinateur va calculer l’empreinte numérique de votre document, et là comparer à celle qui est sur la blockchain. Vos données restent confidentielles, seuls les détenteurs des données peuvent obtenir réponse de la blockchain.

Aujourd’hui, même ses plus fervents opposants ne nient plus que la blockchain sait faire ce travail : la certification d’un document sous format natif est sans faille, sa définition est conforme au règlement CE.

Quelles limites apporter à la blockchain en matière de preuve ?

Une fois exposées les qualités de la blockchain, arrêtons-nous aussi sur ce qu’elle ne sait pas faire :

  • Peut-elle apporter un lien juridique entre l’identité d’un dépositaire et un document, pour assurer une présomption de fiabilité ? Non, n’importe qui peut créer une adresse Bitcoin décorrélée d’une identité juridique.
  • Sait-elle préjuger de la qualité d’un document ? Non : puisqu’elle ne présume pas de l’identité de celui qui a certifié un document, elle ne sait donc préjuger de la qualité de ce dernier. Dit autrement, un faux certifié reste un faux.

Pour autant, il ne faut pas en déduire que la blockchain est dépourvue de valeur probante mais seulement qu’elle ne bénéficie pas de cette présomption. La valeur des documents sera appréciée par le juge conformément au droit commun de la preuve.

En stricte application des textes en vigueur, il faut donc comprendre que personne (et le juge n’y fera pas exception) ne pourra nier l’existence d’un document à une date donnée, mais que cette preuve d’existence sera jugée comme imparfaite, et donc soumise à son jugement (cf publication (Questions Assemblee Nationale)

Amélioration du faisceau de preuve

Comme vu précédemment, et pour assurer une valeur probatoire à un écrit électronique, il faut qu’il soit intègre et lié à une personne identifiée.

1. L’intégrité d’un document

Dans les relations commerciales, et pour les contrats sous sein privé, il est légitime de donner une définition de l’intégrité qui est autre que celle d’un écrit électronique (ce que la blockchain sait faire).
Qu’un document ne puisse pas être modifié est une chose, qu’il soit parfaitement conforme à ce qu’on attend de lui en est une autre.

Le Code Civil, en son Article 1104 et Article 1171 ainsi que le Code de Commerce en son Article L442-1 encadrent la liberté de négociation et de mise au point, impose clarté, équilibre et bonne-foi.

La revue de contrat de ContractChain (nécessairement précise et intégrale) renforce la valeur de l’accord, et donc du contrat qui le fige. Nul ne peut nier qu’il a analysé chaque document, à la virgule près, et avant d’apposer sa signature sur le contrat.

2. Le lien entre le document et la personne habilitée à le signer

Pour obtenir un procédé fiable, ne suffit-il pas d’apposer une signature électronique sur la preuve d’intégrité blockchain, et répondant, bien sûr aux critères du règlement eIDAS ?
Suivant le cas d’usage, elle pourra être « avancée ou qualifiée » au sens du Règlement.

3. La convention de preuve

Une convention de preuve, puisqu’attestant d’un accord sur un fond et une forme donnée, et qui préciserait que « les signataires reconnaissent expressément qu’ils accorderont toute valeur au contrat signé, ainsi qu’à la forme des preuves d’intégrité qui a été retenue pour constituer les annexes » renforcera à l’évidence la valeur probatoire d’un contrat blockchainé.

Synthèse

Comme vu ci-dessus, et contrairement aux attentes de l’essentiel des défenseurs de la blockchain, il est à notre sens vain d’attendre que la blockchain atteigne une meilleure valeur probatoire, parce que cela revient à attendre qu’elle soit reconnue comme « parfaite » au sens du Code-Civil. Ces preuves sont réservées aux officiers ministériels. Elle leur est dévolue avant tout parce qu’ils y mettent une intelligence juridique et contextuelle (ce que la machine ne saura jamais faire seule, fût-elle aidée par l’Intelligence dite Artificielle).

Cette attente nous parait même être inutile, et il y a tout lieu de se satisfaire de la situation actuelle. En effet, parmi les écrits électroniques, nous avons la faiblesse de penser que l’assemblage blockchain/ContractChain, de par le faisceau de preuve qu’il est capable d’apporter, sera à même de convaincre je juge. A minima, les preuves apportées sont de meilleure valeur que ce qui existe aujourd’hui.

Le Droit se nourrissant de ses expériences, nous pouvons tout de même espérer des avancées législatives ou jurisprudentielles, ne serait-ce que pour améliorer la compréhension et mieux encadrer l’interprétation de chacun.

Gageons ainsi que l’Ordonnance no 2016-520 et la Loi Pacte n’ont été que les premières avancées dans le domaine.